Vivre avec le dérèglement climatique n’est pas possible

Vivre avec le dérèglement climatique n’est pas possible
Dixie Fire le 6 août 2021. Crédit : NASA

Heurté par les tragédies qui se jouent sous mes yeux, parfois à quelques centaines de kilomètres de chez moi (Italie, Turquie, Grèce, Algérie…) ou à des milliers de kilomètres, un peu partout dans le monde, frappant particulièrement les environnements régis par un climat méditerranéen, cela fait plusieurs jours que j’ai envie d’écrire à ce sujet. Parce qu’indigné, révolté, meurtri avec, aussi, un sentiment pesant d’impuissance et de déni ambiant. Difficile de rester silencieux face à cette tragédie d’une Planète en train de bruler. C’est là, maintenant, sous nos yeux. Un monde qui s’étiole et menace de s’effondrer.

Incendies en Sibérie, en Yakoutie. Les premiers feux se sont déclarés en mai 2021. Crédit : NASA

Nous savons comment empêcher le pire

Nous sommes pourtant parfaitement au courant de ce que l’on risque, et que si nous ne réagissons pas rapidement, nous allons connaître davantage de catastrophes et de souffrances, mais… cela n’a pas l’air de beaucoup faire réagir. Je vois plutôt des gens descendre dans la rue pour protester contre le pass sanitaire, clamant qu’ils sont en dictature, ou la foule en liesse fêtant l’arrivée de Lionel Messi au PSG. Je sais bien qu’il faut donner de bonnes nouvelles, cela remonte le moral par temps de crise comme celle du Covid-19 (toujours en cours), mais il nous faut écouter aussi le message alarmant du GIEC dans son dernier rapport de 4 000 pages (le sixième !) publié le 9 août. Oui, le réchauffement climatique est bien d’origine anthropique. Oui, les effets sont déjà là et cela va s’accentuer à mesure que la température globale augmente. Oui, des crises majeures risquent de se produire et de se multiplier, plus vite qu’on ne le pensait. Et oui, il y a des solutions : décarboner au plus vite. Car plus nous attendons pour le faire, plus l’arrêt de la consommation de combustibles fossiles et notre mode de vie avec s’arrêteront brutalement.

les citoyens-consommateurs perçoivent une perte du pouvoir d’achat comme plus terrifiante qu’une perte d’habitabilité de leur Planète.

« […] les citoyens-consommateurs perçoivent une perte du pouvoir d’achat comme plus terrifiante qu’une perte d’habitabilité de leur Planète. Tant que notre propre maison n’a pas été brulée ni inondée, tant que nous avons, comme pays prospère, de quoi manger, pourquoi se soucier de quelques scientifiques désespérés qui utilisent de gros mots alarmistes et ne sont même plus capables d’apprécier une petite canicule par-ci, par là ? » écrit Julia Steinberger dans Le Temps.

Nous pouvons avancer vers plus de sobriété, doucement, ou alors ce sera soudain et violent. Évidemment, l’humanité peut choisir aussi la voie du « business as usual », ce que nous faisons d’ailleurs, et continuer d’émettre massivement des gaz à effet de serre jusqu’à l’épuisement des ressources, dans le souci de garantir une croissance perpétuelle à l’économie. Comme si de rien n’était… C’est la voie que nous continuons de suivre depuis un demi-siècle (avec une opiniâtreté admirable…), celle qui mène vers un réchauffement global à + 6°C.

Crédit : MacKay

Les promesses lancées lors de l’Accord de Paris en 2015 ne sont pas tenues. Les engagements ont du mal à se voir, en France et partout ailleurs à quelques rares exceptions ; les émissions de CO2, elles, continuent d’augmenter. Le seul petit coup de frein visible ces dernières décennies, a été donné par les confinements dans les pays riches et en voie de développement afin d’enrayer les contaminations au Sars-CoV-2. Un épisode de notre histoire récente qui, d’ailleurs, montre combien les pays peuvent prendre des mesures fortes et rapides, quand il le faut, pour éviter une catastrophe. Accompagnées de compensations pour limiter les dégâts socio-économiques.

Mais qu’en est-il de la lutte contre le dérèglement climatique qui, pourtant, s’annonce comme une vague ô combien plus dévastatrice ? On préfère attendre et regarder ailleurs. « Business as usual ».

L’illusion d’un vaccin contre le réchauffement climatique

À moins que les citoyens, et les décideurs politiques qui les représentent, estiment que cela va s’arranger tout seul, ou qu’au fond, cela ne sera pas aussi grave (« que les scientifiques exagèrent »), ou encore qu’on trouvera assez vite un vaccin contre ce problème climatique, à l’instar de ce qui a été fait contre la Covid-19… Mais la géoingénierie, que certains tendent à voir comme le remède à nos futurs maux, n’a rien de concret. Et pire, cela pourrait entrainer des dégâts à grande échelle pour des millénaires. Un autre dérèglement.

Sinon, il y a aussi ceux comme Aaron Gilbreath dans The Atlantic (article repris dans Le Courrier international) qui ne voit pas les choses autrement que d’apprendre à vivre avec le réchauffement climatique. Il raconte qu’il s’entraine à vivre avec ces températures très élevées comme celles qui ont étouffé la ville de Portland, où il vit désormais, en juin dernier quand il a fait 49 °C, en sortant dehors aux heures chaudes faire du skate… Il entraine aussi sa fille, de la même façon que son propre père l’avait fait dans sa jeunesse, dans l’Arizona coutumier des 42 °C à l’ombre. Plus jeune, raconte-t-il, il faisait du skate avec ses amis par ces températures… Il suffisait de se reposer une heure dans la fraicheur du centre commercial voisin. Alors, pourquoi pas nous y habituer tous ? Aux canicules, aux « dômes de chaleur » ? Aux inondations ?

Pour ma part, je ne crois pas que ce soit la solution. Cela voudrait dire que l’on a accepté ce sort et qu’on le préfère à une vie plus sobre en carbone, détachée de notre addiction au pétrole. Allons-nous abdiquer ? Allons -nous préférer conserver notre pouvoir d’achat à l’habitabilité de la Planète ?

Ou, au contraire, nous mobiliser pour que les politiques prennent conscience qu’il est urgent d’agir ?

La croissance verte comme seul remède ?

Certains pays, les États-Unis en tête, misent sur une croissance verte. Vraie solution ou mirage posé sur la route déserte sur laquelle nous accélérons ? Le mot « croissance » est là pour rassurer les organismes financiers, les bourses, c’est certain et le mot « vert » comme un vernis vertueux (greenwashing) qui fait plaisir aux écologistes et les anxieux urbains qui entendent parler d’un monde naturel qui va mal. Derrière cette expression qui a fait recette jusqu’à être récupéré par le candidat Joe Biden, on devine des promesses de lendemain qui chante, d’une économie heureuse et vertueuse où tout le monde est gagnant… Mais, nous sommes encore loin d’être câblés à 100 % à des énergies renouvelables — en France et ailleurs — lesquelles doivent être « produites » par des équipements coûteux posant des problèmes de recyclage, sans parler de l’hydrogène dont la production demande énormément d’énergie (et d’où vient-elle ? Des centrales thermiques au charbon, au fioul…).

Il y a, malgré tout, des solutions qui peuvent être généralisées pour décarboner le monde tel la fission nucléaire, remplacée on l’espère dans quelques années (plutôt deux décennies) par la fusion nucléaire, très prometteuse (plus propre), ces sources pouvant aider dans la transition énergétique qui banni les combustibles fossiles.

Vivre avec le dérèglement climatique n’est pas possible. Déjà, avec un réchauffement de près de + 1°C actuellement par rapport à l’ère préindustrielle, il est insupportable de voir des forêts bruler des semaines, comme en Californie ou en Australie il un an et demi, dévorées par des mégafeux qui créent leur propre climat et tuent des millions d’animaux et de végétaux. Ce sont des désastres. Ces territoires mettront des dizaines d’années pour s’en remettre, mais comment y parviendront-ils quand on sait il n’y a plus d’eau qui tombe du ciel dans ces régions sonnées par de grandes sécheresses ? Des villes qui enregistrent des températures de 48 °C à des latitudes supérieures à 50°, c’est insupportable aussi. C’est un monde qu’on est train de rendre inhabitable. C’est déjà devenu difficile pour les autres espèces que l’Homme, hormis le bétail.

« Moins un écosystème contient d’espèces, plus il est fragile » (Bruno David dans Le 1).

Écoanxiété

Dans mon travail, toute la rédaction est régulièrement déprimée par les mauvaises nouvelles venant des sciences du vivant. D’année en année, les constats des scientifiques qui observent le monde vivant empirent. Objectivement, les uns après les autres, à travers leurs recherches publiées dans des revues prestigieuses, ils annoncent la disparition des insectes, une montée des eaux inexorable, la fonte rapide des glaciers de montagne, de l’Arctique, l’acidification des océans, la perte irréversible d’écosystèmes ; ils voient l’Amazonie qui brûle, emportant dans ses nuages de fumée des trésors de biodiversité, une Amazonie qui se transforme en savane sous nos yeux. Ce qu’il reste de cette grande forêt jadis surnommée (au XXe siècle) « le poumon vert de la Terre » émet désormais plus de CO2 qu’il ne peut en absorber.

Ce n’est malheureusement pas la seule forêt en recul. Même scénario sous les tropiques : des arbres qui laissent la place à l’Homme et ses champs de monoculture (palmier à huile, soja, céréales, etc.). Tant pis pour l’homme de la forêt, l’Oran-Outan, et tous les autres êtres vivants avec lui présents depuis des millénaires dans ces milieux.

On laisse de moins en moins de place aux êtres vivants que nous. Nous avons tout conquis et le monde se couvre de plus en plus de béton, ce qui remplit de satisfaction bien des promoteurs, entrepreneurs et décideurs politiques.

De voir tous les jours, dans les revues scientifiques, que tant d’espèces vont bientôt disparaître que nous approchons des points de rupture, que la Terre va devenir une étuve, etc. nous déprime. Avec cette impression, mordante, que cela n’intéresse personne. Ou si peu. Qu’on va laisser faire.